Un bon blogueur est un blogueur mort

Longue absence sur le blog eco-sapiens étant donné que nous étions plongés dans une migration périlleuse. En clair, nous avons changé de serveur. Et, croyez-moi, ce n’est jamais une mince affaire que de déplacer sans perte des gigaoctets de données.

Les connaisseurs de western auront remplacé dans ce titre le mot « blogueur » par « Indien« . Peu importe si l’officier Sheridan a réellement prononcé cette phrase, là-bas les choses se sont faites sans avoir eu besoin d’être explicitées. Aujourd’hui, combien de peuples autochtones et traditionnels restent-ils sur cette planète ?

Hier, j’ai rencontré un homme formidable (et donc quasi-inconnu…) qui s’intéresse de très près au sort de ces communautés aux multiples qualificatifs: Indiens, sauvages, autochtones, traditionnels, tribu etc.

Il a notamment eu un coup de coeur pour une tribu qui est presque tout un symbole. Les Shiwiar qui vivent en Equateur, au Point Zéro, c’est à dire à l’endroit le plus éloigné du front de colonisation. En pleine Amzonie, ne vivant que des ressources de la forêt, perpétuant une culture millénaire fondée sur l’équilibre avec la nature. Mais surtout, une tribu menacée par l’avancée globale des multinationales qui avalent goulûment l’Amazonie : bois, soja, palme et surtout pétrole.

Abstrait àManichéen àDemandez à Texaco où en est le procès… Pendant 30 ans, la compagnie pétrolière a allègrement déversé 70 millions de litres de pétrole dans les rivières. Et avec les essais sismiques pour repérer les poches de pétrole, les glissements de terrain perforent la canopée comme du gruyère de l’emmental.

En fait, si l’on dressait le catalogue des tribus encore préservées de ce monde on observerait une gradation:

  • ceux qui sont sur le déclin: autrement dit la majorité. Ainsi les voisins des Shiwiar, les Sapara, n’ont pas été épargnés par l’avancée des pétroliers. Ils coupent le bois et délaissent leurs cultures vivrières. Plus connus, les Inuits connaissent l’alcoolisme et un taux de suicide important.
  • ceux qui ont touché le fond et remontent progressivement: c’est notamment le cas des Amérindiens d’Amérique du Nord
  • ceux qui ont « réussi » à conserver identité en côtoyant la modernité. On peut évoquer les Kunas du Panama
  • ceux dont l’avenir se joue aujourd’hui. Ainsi des Shiwiar (Jivaro) et des Kogi qui ont connu une certaine médiatisation.

Pour réussir une cohabitation fructueuse entre l’Occident et ces multiples tribus, il est indispensable avant tout d’attribuer un territoire à la tribu. En Australie, ce droit a mis trop longtemps à exister. Ce n’est qu’en 1992, que l’Australie a reconnu rétroactivement que le continent n’avait jamais été terra nullius (territoire sans maître, territoire non cultivé et donc appropriable par le premier qui la cultive. Allez faire comprendre ce concept britannique à des gens qui vivent là depuis des millénaires…)

Ainsi donc, pour sauver les Shiwiar, il faut que l’Equateur leur reconnaisse un territoire. C’est justement l’action de l’association Arutam dont fait partie Jean-Patrick Costa. Pour le moment, grâce aux fonds collectés, les Shiwiar sont effectivement propriétaires de la forêt qui les abrite. Mais cette zone pourrait et doit encore s’agrandir car les oléoducs se rapprochent dangereusement (à peine 50km).

Le point zéro, les Shiwiar, c’est donc tout un symbole. Et si vous ne savez pas à qui donner ces temps-ci, foncez faire un don sur Arutam ou Zéro-Déforestation

Certains croiront, à tort, que je verse dans le mythe du bon sauvage. Or dans ce billet à propos de l’extermination de la mégafaune, je crois ne pas tomber dans l’angélisme. Selon moi, et avec un brin de provocation, l’Africain, l’Amérindien ou l’Aborigène sont aussi barbares que l’homme blanc. Simplement, l’Occidental a gagné. Militairement parlant s’entend. Ce n’est pas une grande preuve d’ingéniosité de sa part. Mais comme il est gagnant et que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire, il a bien fallu qu’il justifie sa domination en se parant des vertus à la mode (droits de l’homme, développement, culture…)

En réalité, au-delà de cette « relativisation des valeurs » qui n’en est pas une, seule compte à mes yeux la biodiversité appliquée à l’espèce humaine: c’est à dire la diversité culturelle.

OurouborosComme le dit Jean-Patrick Costa : « Nous avons beaucoup à apprendre des Shiwiar« . Non pas qu’il nous faille vivre comme eux. Mais parce que dans leur manière de vivre, ils démontrent qu’un « autrement » est possible. Et vu l’état de suffocation de l’Occident, tel un Ourobouros aveugle et satisfait de se manger la queue, il serait bon d’examiner toutes les pistes qui nous sortiraient de ce cercle vicieux.

Par exemple le savoir. Malgré des efforts administratifs et laborieux pour promouvoir des apprentissages plus interactifs, le seul savoir légitime reste la présentation marginale. Or, la plupart des tribus ont une méthode pédagogique qui surprendrait bien des inspecteurs d’académie… Avec un savoir horizontal qui se diffuse plus qu’il ne descend au fond du puits.

Il existe d’autres manières de soutenir ces tribus. L’éco-tourisme, sujet controversé, en est une. A ce propos, Jean-Patrick Costa raconte une anecdote à double tranchant.

Il paraît que pour l’émission de TF1, Bienvenue dans ma tribu, on a demandé aux Zaparas de mettre des costumes traditionnels pour faire plus « authentique » alors qu’en réalité, ils ne portent plus lesdits vêtements. Cela a suscité une vive polémique, certains experts dénonçant un retour aux méthodes des expositions coloniales. S’il est certain que travestir la réalité est inadmissible, on se demande pourquoi il faudrait s’offusquer plus que d’habitude. La télé ne fait que cela: travestir la réalité, faire vrai avec du faux.

Cependant, on peut aussi voir un aspect positif dans ce regain pour nos bons sauvages. D’un seul coup, les autochtones réalisent que leurs coutumes intéressent. Ils cessent, d’une certaine manière, d’être déconsidérés. Cela est d’autant plus vrai concernant le chamanisme où l’on observe une recrudescence de carrières chamanes chez les jeunes parce que cela intéresse l’homme blanc (dommage que celui-ci, 40 après Castaneda, n’en retienne encore que l’aspect psychotrope).

Au fond, c’est la question du rapport à l’autre qui se pose, encore et toujours.

Là où le colon exterminait jadis, là où le missionnaire déculturait ensuite, là où le FMI développe aujourd’hui, il ne reste plus grand chose de ces joyaux humains. Alors anthropologues et associations tentent de rétablir des ponts, en prenant soin à ne pas les transformer en autoroute. Tâche ô combien difficile dans ce monde friand de vitesse.

Il faut donc se faire à l’idée. Muettes, ces tribus sont pourtant encore parmi nous. Certaines ont compris les enjeux. Et ont choisi. Quand je dis « comprendre » c’est qu’à mon avis il n’y a pas de mot pour décrire ce qui est un mélange de sagesse et d’orgueil. Sagesse à fonder une vie sur l’équilibre et l’harmonie. Orgueil à affirmer leur culture… de peur de tout perdre en la perdant.

Et nous dans tout cà?

Mieux vaut citer le poète.

« Le Grand Jeu est irrémédiable; il ne se joue qu’une fois. Nous voulons le jouer à tous les instants de notre vie. C’est encore à àqui perd gagne ». Car il s’agit de se perdre. Nous voulons gagner. Or, le Grand Jeu est un jeu de hasard, c’est-à-dire d’adresse, ou mieux de àgrâce à: la grâce de Dieu, et la grâce des gestes ?

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